Les sentiers de neige | La métamorphose selon Kev Lambert (2025)

Avec son quatrième roman, Les sentiers de neige, qui paraît simultanément au Québec (2octobre) et en France (4octobre), Kev Lambert confirme son incroyable capacité à changer de registre, sans perdre de vue sa voix et ses thèmes.

Ceux qui s’attendaient à un Que notre joie demeure prise deux seront sûrement déstabilisés, et ceux qui n’ont pas aimé ce roman récompensé par les prix Médicis, Décembre et Ringuet seront sans doute très étonnés. Mais ceux qui lisent Kev Lambert depuis Tu aimeras ce que tu as tué, son premier roman paru en 2017, vivront simplement des retrouvailles.

Chapitres courts, rythme haletant, du suspense et du fantastique, de l’humour et de la cruauté, une oralité très québécoise, un hommage à Stephen King, à Michel Garneau et au jeu vidéo Zelda, c’est un peut tout ça et encore plus, Les sentiers de neige, un ahurissant conte de Noël de plus de 400pages qui se veut un éloge de l’imaginaire avant la chute dans le monde adulte.

De toute évidence, écrire la même chose pour répondre à des attentes n’est pas du goût de Lambert, malgré sa multitude de prix littéraires à 31ans et des poussières.

«Le rapport à la transformation, à la métamorphose, à ce qui est non fixe, il est dans ma vie intime, mais aussi dans ma pratique artistique, explique Kev Lambert. J’ai toujours le besoin de ne pas rester à un endroit, de vraiment transformer ma littérature chaque fois. Ce changement dans le ton, dans les personnages, dans les mondes, et les questions que pose le texte, c’est ce qui me permet d’écrire.»

Nous nous rencontrons dans un café de la Petite Italie, pas très loin de son appartement à Montréal, qui est de plus en plus un pied-à-terre, tant Kev préfère vivre dans la nature. L’enfant qui a grandi à Chicoutimi n’a jamais vraiment pu s’habituer à Montréal.

Les sentiers de neige | La métamorphose selon Kev Lambert (1)

Regard perçant, cheveux longs, ses traits se sont affinés, d’une beauté androgyne spectaculaire. Kev est en transition, ce qui explique son changement de prénom. Ce n’est plus Kevin, mais Kev maintenant.

«On est toujours un peu confronté à des attentes sociales dans la vie en général, et dans la transition en particulier. Une de ces attentes-là, c’est le changement de prénom. Je me suis rendu compte que ça ne me tentait pas, et puis de toute façon, tout le monde m’appelle Kev depuis longtemps. J’aime qu’on puisse y entendre Ève…» On convient aussi avec le fou rire que Kevin est un prénom difficile à porter depuis la vidéo virale Bonne fête Kevin…

Si on y tient vraiment, sa définition serait celle de la non-binarité, et ce flou l’intéresse, depuis sa transition amorcée il y a un peu plus d’un an.

«Dans beaucoup de témoignages, on entend: “Je me suis toujours sentie comme une femme”, mais moi, ça n’a jamais été aussi clair que ça, mon rapport au genre. C’est plus un rapport d’incompréhension. On dirait que le logiciel du genre, on ne l’a pas installé chez moi. Les gens me disent: une transition vers quoi? Ce n’est pas obligé d’être vers quelque chose. C’est juste un processus, et on verra bien où ça mène.»

Kev ne l’a jamais mieux exprimé que dans ce texte bouleversant paru dans la revue Liberté, «Transitionner dans un monde haineux».

Lisez son texte publié dans la revue Liberté

Ce qui me fascine le plus chez cet être exceptionnel sur bien des plans est que, malgré ses succès et l’emballement médiatique qui l’entoure, c’est une personne qui demeure très proche de ses valeurs profondes. À la fois sensible et solide, libre et responsable. Son œuvre est à son image.

Écrire sur les traumas

Ses questionnements ont inspiré l’écriture des Sentiers de neige, où l’on passe sans prévenir du «il», au «elle» au «nous» et au «on». Les deux personnages principaux, Zoey et sa cousine Émie-Anne, ne sont pas des enfants comme les autres et vivent dans un environnement souvent hostile à ceux qui n’entrent pas dans la norme. Zoey est un garçon qui doit cacher ses goûts «de fille», à qui son père dit d’arrêter de «se casser le poignet», en plus de le décevoir en lui donnant à Noël une douillette du Canadien de Montréal. Émie-Anne est une enfant adoptée à qui on rappelle, en la traitant de «petite Chinoise», qu’elle n’est pas une «vraie» de la famille Lamontagne.

La famille est un peu un microcosme de la société québécoise où la différence est sans cesse pointée, mais Zoey et Émie, complètement solidaires, peuvent compter l’un sur l’autre, dans cette amitié souvent fusionnelle des enfants, en voulant sauver une créature nommée Skyd, sortie tout droit de leur imagination. Pour combien de temps, cette complicité? Car Émie est sur le point d’entrer dans l’adolescence, et ses «réserves d’émerveillement s’épuisent»…

Les sentiers de neige | La métamorphose selon Kev Lambert (2)

Kev Lambert avait envie d’écrire sur les traumatismes de l’enfance, en s’appuyant sur l’univers culturel de sa jeunesse; ces livres, ces films et ces jeux vers lesquels on s’évade d’une réalité oppressante. Nous discutons alors de notre amour pour Le monde de Narnia, une série romanesque de C.S.Lewis dans laquelle des enfants découvrent un monde magique au fond d’une armoire. Je rêvais de trouver ce passage au fond de ma garde-robe quand j’étais petite.

«Moi, je l’ai vraiment cherchée, cette porte!», lance Kev en riant. «Il y a dans ces récits la promesse que tu vas trouver un autre univers où tu vas avoir une place, une importance, où tout le monde va t’aimer. Enfant, je ne me sentais pas toujours aimé, parce que j’étais dans un monde qui ne m’acceptait pas vraiment, et j’ai beaucoup rêvé de trouver ma place ailleurs.»

Devenir adulte, c’est bien souvent découvrir que toutes ces belles histoires n’existent finalement pas, et que la fiction est un mensonge… qui nous aide malgré tout à vivre, pour ne pas dire survivre.

«Quand on aborde les traumas dans les arts, c’est souvent sous une forme fragmentaire, note Kev. C’est logique parce que le trauma, par définition, a quelque chose qui échappe au discours, à la possibilité de le raconter, ça résiste à la parole. Je me suis rendu compte que pour arriver à une forme de guérison, il faut arriver à une capacité narrative. À inscrire le trauma dans une histoire, dans une aventure existentielle humaine.»

Pour cette raison, Stephen King, que Kev Lambert a beaucoup lu et continue à lire aujourd’hui, est un peu un expert. «Dans presque tous ses livres, on trouve l’infigurable du trauma. Formellement, j’avais envie que le roman adopte certains traits de cette littérature que j’aimais.»

Que notre joie demeure était une exploration de la vie intérieure qui utilisait l’architecture comme métaphore, en s’inspirant du style de Marie-Claire Blais et de Virginia Woolf, selon Kev. «Les sentiers de neige aussi, mais sur celle des enfants, et il fallait utiliser des matériaux qui font du sens pour eux. Leur vie intérieure prend la forme d’un jeu vidéo en 3D comme Zelda, peut-être le chef-d’œuvre des jeux de ces années-là.»

Le fait que l’intrigue se déroule pendant la période de Noël accentue son étrangeté et réveillera de nombreux souvenirs chez les lecteurs. Kev Lambert rend à merveille cette folie particulière au temps des Fêtes, mais du point de vue des enfants, à qui rien n’échappe, même entourés de gens saouls.

«Noël est censé être la chose la plus extraordinaire au monde, mais pour moi, Noël n’était pas juste ça. Ma famille était un peu comme celle que raconte Michel Garneau dans L’hiver, hier. Dans une parole qui cherche toujours à piquer l’autre. Mais je trouvais quand même mes oncles vraiment drôles, parce qu’ils étaient aussi dans une exubérance. En fait, à Noël, les adultes n’ont plus leurs masques d’adultes, et quand on voit en dessous des masques, parfois ça fait peur.»

C’est peut-être la première fois que je dis ça en parlant d’un roman, mais je vous suggère de retarder cette lecture aux premières neiges pour intensifier l’expérience. «J’aimerais que ce livre résonne un peu avec l’enfance des lecteurs, qu’il rallume cette petite flamme-là», souhaite pour sa part Kev, dont le livre va sûrement se retrouver dans bien des bas de Noël.

En librairie mercredi

Les sentiers de neige | La métamorphose selon Kev Lambert (3)

Les sentiers de neige

Kev Lambert

Héliotrope

415 pages

Les sentiers de neige | La métamorphose selon Kev Lambert (2025)
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Author: Nathanial Hackett

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